La pluie s'est miraculeusement arrêtée dans la matinée pour laisser place à un très beau soleil que quelques nuages essayaient de troubler.
En arrivant sur le village de Boeschepe, le parcours pour se rendre à la fête du cordeau était fléché.
Tout était magistralement organisé : un champ transformé en parking accueillait les voitures des visiteurs.

Juste en face de celui-ci, la fête les attendait. Quelques vieilles machines agricoles au premier plan donnaient le ton de cette manifestation : la tradition.

Des tables et des chaises témoignaient de la volonté de l'association "Le Cordeau, Cheval et Tradition" de créer un endroit très convivial. Le public pouvait se restaurer, abrité du soleil et éventuellement de la pluie. Bref tout a été pensé dans les moindres détails. Rien à redire ... on s'y sentait accueilli.

Cette petite partie du public observait les opérations de débardage qu'exécutaient les meneurs et leurs chevaux de trait.

Ce type de tombereau basculant à trois roues où l'on pouvait lire sur sa plaque " CARTON MAXIME cultivateur à BOESCHEPE NORD " m'a rappelé de très bons souvenirs : nous nous en servions pour l'arrachage de nos betteraves. C'est en 1932 que l'usine de Poclain sort des tombereaux munis de pneumatiques.

C'est à cette époque que fut lancé son fameux slogan publicitaire : "Avec le pneu, deux chevaux en valent trois"

Extrait de l'excellent livre de Marcel Mavré "Attelages et Attelées" des Editions France Agricole

Par contre, mon oncle Emile Dupuich - ayant habité Sains-en-Gohelle dans le Pas-de-Calais - qui livrait du charbon dans le Pas de Calais avec son mulet, utilisait un tombereau à deux roues, une sorte de tombereau de ferme. Le mulet était placé entre les brancards.
J'avais un autre oncle dans la même famille qui exerçait le métier de cultivateur : Arthur Dupuich. Mais je n'ai aucun souvenir de cet oncle ... ce qui m'attriste aujourd'hui.


Balade en calèche

Ces dames ne se sont pas ennuyées dans leur journée. Les balades en calèche furent très demandées ...

comme en témoigne cette photo. Il fallait s'armer de patience pour obtenir le billet comme celui que tient ce monsieur :-)

Et c'est parti pour une petite balade très sympathique au son des sabots des chevaux sur le bitume à travers ce village très accueillant qu'est Boeschepe.

Voici un chariot que je rencontre souvent lors des manifestations comme à Merckeghem par exemple pour la St Hubert ... mais ce meneur, Bernard Herreman, est aussi maréchal ferrant.

Pendant que l'on attend les derniers passagers, on s'entretient avec les chevaux. Il y a des instants magiques que partagent meneurs et chevaux, ce sont des instants de complicité.


Travaux de la terre
Déchaumage

Le déchaumage était la première opération à réaliser avant le labourage et après la moisson. Je me souviens que ces éteules nous blessaient le bas des jambes lorsque nous allions dans les champs pour glaner, et les voir arracher par cet extirpateur venu d'une autre époque ... commençait à solder le contentieux que j'avais avec ces fameuses éteules. On les arrachait également pour se bombarder, ou pour simuler les poteaux de nos buts lorsqu'on se faisait une partie de foot sur la chaussée.

Labourage

Labourage avec deux chevaux de front et une charrue brabant réversible du constructeur d'Erquinghem-Lys (Nord) - J. Capelle.
Le laboureur se tient derrière sa charrue tout en marchant dans la dérayure. Lorsque nous labourions, le premier sillon appelé l'enrayure était si difficile à faire pour moi que je le laissais à mon cultivateur.
Le cultivateur se tenait à l'arrière, une main posée sur l'un des manchons de la charrue et dans l'autre le ou les cordeaux. C'est une sorte de trait d'union entre les chevaux et le meneur : seule la voix du meneur guide les chevaux, le cordeau est en quelque sorte le lien physique, et n'est employé que lorsque les chevaux ignorent un ordre. Il prend alors le relais de la voix pour faire appliquer l'ordre. Mais très vite le cordeau redevient ce trait d'union qui semble lié les chevaux au meneur.
En ce temps-là, de nombreux gamins allaient dans les fermes, qui furent pour certains comme moi, une école de vie, de modestie. Cela occupait nos journées d'octobre - saison propice aux labours - lorsque nous n'avions pas école.

Dans les régions Nord, Picardie, Champagne et même en Belgique, les cultivateurs labouraient avec 1, 2 voire 3 chevaux attelés de front alors qu'en Normandie - et même dans l'Ouest - une autre école prônait le labourage en file. Il n'était pas rare de voir dans ces régions 3, 4 voire 5 chevaux en ligne. Il semblerait, d'après mes archives que l'on est utilisé jusque 7 chevaux !!! Notamment dans une partie du boulonnais très accidentée.
On pouvait également trouver des attelages en tandem.

Si l'on gomme les cônes de signalisation, avec un peu d'imagination, nous sommes dans les années 50 ! Très bonnes années :-)
La photo suivante nous donne une bonne image de ce que le cultivateur faisait pendant les mois de septembre ou d'octobre juste après la moisson et le déchaumage.
Il ne manque que les petits tas de fumier que l'on amenait avec un chariot basculant à trois roues par exemple. Une fois dans le champ, avec un groet (ou un croc à 4 dents), on déposait de manière méthodique ce fumier pour former des petits tas que l'on dispersait un peu plus tard avec une fourche.

Maxime Deraeve est le président de cette association "Le Cordeau, Cheval et Tradition" qui transmet cette manière si particulière de mener les chevaux.
Cette association fut déclarée à la sous-préfecture de Dunkerque le 21 avril 2004 avec pour objet : perpétuer le savoir-faire et la tradition de la conduite du cheval au cordeau.

Toujours Maxime Deraeve tenant dans sa main gauche ce fameux cordeau.

Une parfaite maîtrise de ce laboureur qui doit veiller à la bonne coordination de ses deux chevaux. Ils doivent tirer sur les trassiers - ou palonniers - avec la même force.



Rouleau

Après le labourage, vient le temps de rouler. Il n'était pas rare de voir le cultivateur s'asseoir sur ce siège en fer que l'on retrouvait partout y compris sur les premiers tracteurs. Certains ajoutaient une herse à l'arrière.

Hersage

Le hersage avait pour finalité soit de briser les mottes de terre si le cultivateur ne passait pas le rouleau, soit de préparer le sol pour le semis.

Une jument suitée pour la démonstration d'hersage.
Avant l'introduction des semoirs, le cultivateur après avoir semé à la volée son blé, passait la herse pour enfouir les graines.

Plantage pommes de terre

Bien que je n'en ai jamais vu - nous plantions encore les pommes de terre de manière manuelle - je pense que c'est une machine à planter les patates :-)

Et toujours cette conduite au cordeau ... en fait, essentiellement à la voix :-)

Maréchal Ferrant

Le cheval attend patiemment dans la travail du maréchal ferrant que celui-ci le "rechausse" ... et contrairement aux idées reçues, le cheval ne sent rien lorsque le fer rouge lui brûle le sabot.

Encore une personne que je croise régulièrement, un professionnel passionné par son travail qui n'hésite jamais à donner des explications.

Ce poulain doit s'interroger : "Pourquoi je ne peux pas suivre ma mère ?" ou alors : "Mais qu'est-ce qu'ils vont lui faire ?" ... Il y a des moments de tendresse dans le monde des chevaux et profiter de ces moments, ce n'est que du bonheur.

Concours de traction

Les principaux concurrents sont réunis au milieu de l'espace dédié à ce concours de traction. Les règles bien que connues de tous, sont de nouveau expliquées.

Le but est d'emmener sur cet espèce de traîneau le grand nombre de personnes sachant qu'il y avait 3 postes où attendaient 4 personnes d'un certain poids :-)

Les 4 premières personnes sont montées. Direction le second poste. Mais celui-ci n'ira pas très loin. Qu'importe ... le plus important, c'est de démontrer au public la puissance certes de ces chevaux de trait mais aussi cette manière très particulière de mener les chevaux ... avec le cordeau ... mais maintenant vous savez : c'est essentiellement à la voix que les chevaux sont menés.

Malgré son handicap - une main dans le - ce meneur va réussir à emmener tout son petit monde vers la sortie.

Une partie du public ravit de voir cette démonstration sous un ciel ensoleillé.

Ce jeune meneur a déjà le cord'attitude. Il réussira à déplacer 6 personnes - pour lui, la règle était plus simple : 2 personnes à prendre à chaque poste - sur le traîneau sous les applaudissements mérités du public.

Au premier plan, une personne de la Voix du Nord - le sac photo sur le dos - que je rencontre également à de maintes reprises. Nous échangeons de temps en temps quelques mots sur notre équipement photo.
Il est toujours au coeur de l'action afin de nous gratifier d'excellentes photos.

Là, effectivement, on sent bien qu'il y a du métier derrière le cordeau ...

et le cheval mettra un point d'honneur à tirer les 12 personnes - si l'on estime le poids moyen d'une personne à 70kgs, cela nous donne une charge de 840kgs, mais sincèrement je pense que nous n'étions pas loin des 1000kgs tractés. En fait, un ami me disait qu'avec le coefficient de frottement du traîneau sur le sol, la charge tirée par ce cheval était encore plus importante ! - hors de l'espace réservé sous une salve d'applaudissements de la part du public émerveillé par tant de puissance à laquelle le cheval répondra par un hennissement comme pour dire "Merci". Encore un moment de bonheur ...
De l'élégance mise au service de la puissance ...

Là ... peut être moins d'efforts mais la difficulté résulte dans la traction simultanée des deux chevaux. Si l'un tire plus que l'autre, le traîneau perdra des passagers. Travail remarquable du meneur que l'on peut découvrir sur cette photo.

Maxime Deraeve n'aura pas été jusqu'au bout ... il y a eu de la casse ! C'est dire les efforts importants que subissent les sangles et les traits ...
La voix off

La voix off ... de cette manifestation. En fait, je dis "voix off" car pour le concours de traction, cette dame n'ayant pas de fil assez long, commentait sans voir :-)
De cette voix, je retiendrais surtout cette volonté de voir se dérouler sans accident les différentes épreuves en appliquant des mesures de sécurité.
Bien que je n'ai point vu les cordeaux, les personnes lui obéissaient ... à la voix :-)

La sellerie

Du savoir faire dans les mains de ce monsieur.

Les gaufres

Il semblerait que les gaufres ont commencé à manquer vers les 17 heures ... Elles devaient être succulentes.

Expo photos

Une petite et sympathique expositions de photos retraçait les activités de l'association " Le Cordeau, Cheval et Tradition".
Le Bar

Un endroit que l'on cible dès l'arrivée sur la fête ... histoire de ne pas perdre de temps à chercher à se désaltérer. Mais très souvent, l'odeur

La restauration

des merguez, des saucisses grillées, trahit sa position :-)


et on est prêt à servir le client pendant qu'il commande sa pinte.
Les vedettes

Tendre moment entre la jument et son poulain. Une complicité qui manque quelquefois aux humains ...

De magnifiques chevaux de trait au repos.

Ou encore ceux-ci qui attendent patiemment leur avoine.

Aurait-il été titillé par les éteules ? En tout cas, cela doit lui gratter la paturon.

Terminons ce petit et modeste compte rendu par le sourire de ces deux jeunes filles et disons-nous à l'année prochaine pour une nouvelle fête du cordeau, qui sera, je n'en doute pas un seul instant, une fête de nouveau tirée au cordeau :-) .
Tous mes remerciements aux membres de l'association "Le Cordeau, Cheval et Tradition" pour le travail de mémoire effectué depuis sa création.

Les coordonnées de l'Association "Le Cordeau, Cheval et Tradition"
Siège social : 1085, rue de Bailleul, 59299 Boeschèpe
Objet : perpétuer le savoir-faire et la tradition de la conduite du cheval au cordeau.
Date de la déclaration à la sous-préfecture de Dunkerque : 21 avril 2004

Le cordeau se disait aussi Cordjiau
Cordjiau : s.m. Corde serrée que l'on attache au mors et qui sert à diriger les chevaux attelés.(extrait du livre de Georges Dupas sur le Vieux parler à Oye-Gravelines-Loon)